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Lettre aux médias - Docteur Barrette, retirez le projet de loi no 20 !

mercredi 4 février 2015

Docteur Barrette, vous avez plusieurs fois évoqué depuis le 28 novembre que si les médecins réglaient le problème de l’accessibilité, il n’y aurait pas de projet de loi no 20 (PL20).

Peut-être est-il temps de réaliser cette promesse car :

  • Les médecins sont d’accord qu’il existe un problème d’accès et ont unanimement affirmé vouloir le régler ;
  • Le PL20 n’a pour l’instant réussi qu’à polariser le débat dans une guerre stérile entre vous et les médecins, guerre qui n’aide en rien l’atteinte des objectifs communs ;
  • Le PL20 a mis à dos une partie de la population contre les médecins avec des messages négatifs et populistes (par exemple : médecins chèrement payés, paresseux, profitant de la largesse de l’état subventionnant leurs études). Les médecins méritent mieux que ça et ont l’appui et l’estime d’une grande partie de la population qui a confiance en eux ;
  • Le PL20 attaque particulièrement les médecins qui ont une vocation d’aide aux clientèles les plus vulnérables. Il réduira la rémunération des médecins qui ont déjà la rémunération la plus faible et il touchera particulièrement les jeunes femmes médecins ;
  • Le PL20 avec sa règle d’assiduité impose une pénalité allant jusqu’à 30 % de la rémunération si la clientèle du médecin de famille voit d’autres médecins trop souvent. Comment justifier une telle mesure qui n’est pas sous le contrôle du médecin ?
  • Le PL20 est particulièrement humiliant en « proposant » une baisse de rémunération de 30 % aux médecins qui ne parviendront pas à répondre aux conditions dictées par vous. Cet argent sera dévolu au paiement des honoraires des médecins qui augmenteront leur charge de travail et ne résultera probablement en aucune économie pour le système de santé, peut-être même en augmentera-t-il le coût ;
  • Le PL20 pousse les médecins en fin de carrière vers une retraite prématurée en raison de la cadence imposée contraire à la volonté naturelle de réduire ses activités en fin de carrière. Ceci est particulièrement vrai en médecine d’urgence, une pratique exigeante physiquement et mentalement en raison des horaires défavorables (quarts de soirs et de nuit) et de l’intensité de la pratique ;
  • Le PL20 force les médecins d’urgence qui sont à temps complet à augmenter leur nombre de gardes de 25 % à 30 % pour avoir le droit de ne pas faire de prise en charge et éviter une baisse de 30 % de la rémunération. Forcer les médecins d’urgence à une cadence trop élevée comporte un risque important de briser l’équilibre nécessaire à la performance de soins sécuritaires pour la population la plus malade qui a besoin d’interventions rapides, parfois in extremis. L’épuisement professionnel nous guettera à plus ou moins brève échéance ;
  • Le PL20 poussera des médecins à réorienter leur pratique vers le privé pour échapper au joug imposé, comme on l’a vu récemment avec le cas médiatisé du Dr Vincent Demers ;
  • Le PL20 incitera les médecins (surtout les anglophones) à s’installer dans une autre province ;
  • Le PL20 va à l’encontre d’un principe de base en gestion : on ne peut implanter un changement majeur dans une organisation sans la participation et la collaboration des acteurs clés. Or le PL20 a été déposé sans consultation avec les médecins et l’ouverture aux propositions des médecins a été nulle jusqu’à présent.

Des solutions existent et ne nécessitent pas une loi coercitive telle que proposée dans le PL20 :

  • L’accès avancé en clinique de médecine familiale : ce modèle existe déjà et permet un accès au médecin de famille en un délai de quelques jours. Il faudrait en promouvoir le déploiement à large échelle ;
  • L’intégration d’infirmières spécialisées dans les groupes de médecine familiale : les médecins ont compris les bienfaits de l’interdisciplinarité et veulent l’intégrer dans leur pratique ;
  • Le dossier médical informatisé : le retard du Québec dans son déploiement explique en partie la moins bonne efficacité de la première ligne au Québec en comparaison avec les autres provinces du Canada ;
  • Les règles des activités médicales particulières (AMP), renommées activités de médecine familiale (AMF) dans le PL20, entrent en conflit direct avec l’objectif d’une meilleure accessibilité en première ligne. Les AMP ont été imposées il y a 20 ans devant une pénurie majeure d’effectifs médicaux en particulier dans les urgences : elles exigent un nombre minimal d’heures en établissement pour tous les médecins de famille, et ce, pour leur premières 20 années de pratique. De nos jours, la pénurie d’effectifs est pratiquement résorbée, alors pourquoi maintenir cette obligation qui justement force les médecins à une pratique en établissement au détriment d’une disponibilité en cabinet ? Comment le médecin de famille peut-il assurer de l’assiduité à sa clientèle s’il doit au départ passer 12 heures par semaine en établissement ? Le PL20 allonge même cette obligation jusqu’à 25 ans de carrière. Il y aurait plutôt lieu d’alléger ou peut-être même d’abolir ces règles.
  • Comme l’a suggéré M. Alain Dubuc dans son éditorial du 31 janvier dernier dans La Presse, des états généraux seraient une façon de revoir le mode de dispensation des soins, mais en collaboration avec les intervenants du réseau et les médecins contrairement à la méthode proposée avec le PL20.

La dispute a assez duré, et ses effets ne sont que dommageables pour les soignants et leurs patients. Le contexte actuel est extrêmement démotivant pour les médecins, en particulier ceux qui s’occupent de la partie de la population la plus démunie. De plus le PL20 lance un message extrêmement négatif envers les futurs médecins et la médecine familiale, bafouant les principes d’écoute et de globalité enseignés dans nos facultés de médecine par une approche comptable et mathématique du contact médecin-patient.

Enterrons la hache de guerre, et travaillons sur de vraies solutions. Le PL20 est précipité, amené sans aucune consultation préalable et il est tout-à-fait inacceptable pour les médecins de famille et les médecins d’urgence. S’il est adopté, il nécessitera une armée de fonctionnaires pour gérer la complexité inouïe de la validation des heures et des coupures de chaque médecin du Québec. N’aviez-vous pas pourtant suggéré d’alléger le fardeau bureaucratique pour maximiser les ressources aux services directs aux patients ? Sur ce point d’ailleurs, vous aviez l’assentiment des médecins.

Travaillons ensemble sur de vraies solutions. Les médecins et la population ne demandent que ça. Docteur Barrette, retirez le PL20.

Bernard Mathieu, M.D.

L’auteur est médecin de famille pratiquant exclusivement à l’urgence. Il est aussi le président de l’Association des médecins d’urgence du Québec.